oshu a écrit:
...juste une question Luc je ne comprends pas pourquoi tu ne donnes pas d'engrais a un arbre, sous pretexte d'en faire un bungin ??? c'est contre logique...
Tout dépend dans quelle perspective tu te places...
Nous sommes tous pressés d'obtenir un bon gros shohin, avec une conicité de la mort qui tue... C'est notre tempérament d'européens qui veut ça, on n'est pas très patient... Pour ça, deux options : marcotte de la cime d'un bon gros buerger avec 4 à 5 branches bien serrées pour faire un bon gros pépère ou clip & grow sur un arbre cultivé en passoire, gavé aux hormones (nan, aux engrais

).
Le résultat peut paraître là, mais en regardant bien, tous ces arbres présentent des défauts : cicatrices plus ou moins grosses, nebaris irréguliers, avec de grosses racines qui se divisent assez loin du tronc à l'image de ce qui se passe en haut. Les japonais aiment la précision, la finesse, la simplicité, l'efficacité, la justesse, l'équilibre. On retrouve tout ça dans leur théâtre, leurs arts martiaux, leur poterie, la photo et dans le bonsaï.
Selon Maître Andô, il faut deux générations pour construire un bunjin respectant les règles qu'il énonce à partir d'une graine de pentaphylla. Deux générations, tu imagines la taille du tronc sur deux générations si tu engraisses l'arbre ??? idem pour la taille des feuilles !
L'eau de pluie, l'eau d'arrosage, le substrat avec la microflore et la microfaune qui s'y installent au bout de quelques temps suffisent selon lui (je crois son expérience

) à nourrir un tel arbre.
En l'engraissant, on accélère la pousse, on est obligé de tailler, on a du bourgeonnement arrière, des plateaux denses, l'inverse de ce qu'on cherche. Tout comme le tronc ne porte que trois branches, les branches portent le feuillage aux extrémités , l'arbre exprime le wabi sabi, juste content de vivre, sans faste, avec l'essentiel.
Maître Andô a comparé le bunjin à mère Thérésa : une vie de pauvreté, de recherche de l'idéal, sans combat (d'où l'absence de cicatrices) mais une vie de beauté, de bonté,de sensibilité et de méditation.
L'arbre doit rester fin (le mien est trop épais) car le vent doit le faire se balancer, il évoque ainsi la fragilité mais le désir de vivre...
Pas d'engrais ralentit la pousse, raccourcit les aiguilles, évite la formation d'une écorce grossière.
Cette nécessité de croissance lente fait préférer le pentaphylla à Maître Andô pour la création de lettrés. Ses aiguilles courtes, fines et légèrement bleutées (donc plus discrètes et plus wabi sabi) sont aussi en parfait accord avec le style.
Voili voilou.
Maintenant, une petite explication sur mon entêtement, vous m'en voudrez peut être moins d'être à ce point pénible quand on parle de bunjin...
J'ai eu le privilège d'avoir un cours particulier de trois jours avec Maître Andô en Nov 2010 à cause de la scission qui a donné naissance à l'académie bonsaï. La totalité de ma classe a quitté la scuola, mais par respect pour Maître Andô, j'ai choisi de continuer avec lui jusqu'à son départ. Au lieu d'annuler le stage, j'ai eu droit à ce fantastique moment, et ce stage, le huitième du cursus, était consacré au wabi-sabi, au bunjin et à la poterie.
J'ai pu poser toutes les questions qui me turlupinaient, autour de beaucoup de sujets qui touchaient la tradition en plus des sujets mêmes du stage. C'est là que j'ai compris que Maître Andô souhaitait transmettre des valeurs (dans le bonsaï) qui disparaissaient du Japon même, à cause de l'occidentalisation et de la professionnalisation du bonsaï japonais.
Il m'a convaincu et j'essaie de faire passer son message. Prennent ceux qui veulent.