clem
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Re: Le Léttré selon Maître Ando
« Réponse : 23-02-2011 12:40 »
polop a écrit:Je pense que lanig a en partie raison, il faudrait qu'en occident on cesse de mettre les japonais, et en particulier les enseignants japonais en France sur un piédestal. Je ne crois pas qu'il y'ait d'un côté la Voie, unique, forcément codifiée et figée, et de l'autre, les barbares que nous sommes, qui seront à tout jamais incapable de comprendre la philosophie et l'art japonais. L'art du bonsaï est un art, et comme tel, parfaitement accessible à tous, occidentaux et orientaux (au sens large car le bonsaï n'est pas une exclusivité nippone). Et même au Japon, la vision du bonsaï est multiple. Soyons décomplexés, car bien des artistes européens produisent des oeuvres remarquables. Mais comme dabe, c'est forcément mieux ailleurs que chez nous et puisqu'il existe des règles, appliquons les avec rigueur et sévérité, quitte à faire dans le jusqu'auboutisme. Ce n'est pas uniquement propre à notre monde, pratiquant le kendo, la ligne des juges français pour les passages des Dan est plus dure et sévère que celle des sensei Japonais en visite en France.
En ce qui concerne le bunjin, il faut savoir qu'au départ il s'agit d'un courant artistique, le Nanga ou Bunjinga, s'inspirant à la fois d'une certaine école chinoise (Nanzonghua), de principes confucéens et de la volonté d'artistes japonais de lier à la fois peinture, calligraphie et poésie, en parfaits lettrés et intellectuels, en opposition à l'école Kano-ha notamment, en mettant à l'honneur des thèmes plus proches de la nature: paysages, plantes, montagnes, chutes d'eau. Ce courant a pris son essor avec Ike no Taiga et son compère Yosa Buson, à la fois poète créateur de haiku, calligraphe et peintre au XVIIIème siècle, à une époque où le Japon est refermé sur lui-même. Le système de représentation Nanga simplifie les traits, parfois à l'extrême, surtout lorsqu'il s'agit de kakejiku ou kakemono monochromes. Les arbres surtout sont parfois juste suggérés, dépouillés et épurés, tracés d'un seul coup de pinceau ou presque. Ce courant s'est poursuivi par la suite au XIXème, avec des artistes renommés comme Tani Buncho, Taki Katei, ou Tanomura Chikuden qui utiliseront dans leurs peintures des techniques occidentales, en s'affranchissant plus ou moins de l'influence chinoise.
Je reste convaincu que le style Bunjin ou Litterati dans le bonsaï est directement issu de ce courant pictural. De ce fait, il n'existe pas de règles, sinon celle d'épurer, de former un arbre tel un tracé à l'encre, comme une représentation sensible et émotionnelle.
Extraits de peintures sur rouleau:
Matsumura Goshun 1752-1811
Tanomura Chikuden 1777-1835
Tani Buncho 1763-1840
Anonyme XIXème siècle
Je crois qu'il faut faire comme les Japonais, regarder la nature et s'en inspirer, comme ils l'ont fait pendant des siècles, car c'est une source de création infinie.
Luc a écrit:polop a écrit:Je pense que lanig a en partie raison, il faudrait qu'en occident on cesse de mettre les japonais, et en particulier les enseignants japonais en France sur un piédestal. Je ne crois pas qu'il y'ait d'un côté la Voie, unique, forcément codifiée et figée, et de l'autre, les barbares que nous sommes, qui seront à tout jamais incapable de comprendre la philosophie et l'art japonais. L'art du bonsaï est un art, et comme tel, parfaitement accessible à tous, occidentaux et orientaux (au sens large car le bonsaï n'est pas une exclusivité nippone). Et même au Japon, la vision du bonsaï est multiple. Soyons décomplexés, car bien des artistes européens produisent des oeuvres remarquables. Mais comme dabe, c'est forcément mieux ailleurs que chez nous et puisqu'il existe des règles, appliquons les avec rigueur et sévérité, quitte à faire dans le jusqu'auboutisme. Ce n'est pas uniquement propre à notre monde, pratiquant le kendo, la ligne des juges français pour les passages des Dan est plus dure et sévère que celle des sensei Japonais en visite en France.
Tu as l'air d'avoir une bonne culture, tu écris bien, alors tu dois aussi savoir lire... Je t'invite donc à relire (pas à survoler) ce que j'ai écrit. Je n'ai rien dit de tout ça, j'explique mon choix et la vision du bonsaï de Maître Andô, ma conclusion étant que chacun puisse prendre son inspiration et les informations en fonction de la voie qu'il a choisie. Donc tu fais ce que tu veux et ça n'a aucune espèce d'importance pour moi, tout comme je fais ce que je veux, quoi que tu puisses penser de mes choix.
...Je reste convaincu que le style Bunjin ou Litterati dans le bonsaï est directement issu de ce courant pictural. De ce fait, il n'existe pas de règles, sinon celle d'épurer, de former un arbre tel un tracé à l'encre, comme une représentation sensible et émotionnelle...
Tes estampes sont magnifiques, néanmoins, à mes yeux il n'y a qu'un arbre qui représente un bunjin au sens où je l'entends, celui de la deuxième.
Si tu es convaincu de ce que tu dis tu admettras que Maître Andô puisse être convaincu de ce qu'il dit. Tu admettras aussi que je puisse ne pas être convaincu par ce que tu dis au nom de la fameuse liberté de penser qui semble coller à ton discours dans lequel il y a quelques idées qui me plaisent.
Je crois qu'il faut faire comme les Japonais, regarder la nature et s'en inspirer, comme ils l'ont fait pendant des siècles, car c'est une source de création infinie.
Ben voilà, on a au moins une pensée en commun.
lanig a écrit:J'essaie de pratiquer le Karaté Do dans l'esprit Bushi Do, peut être comprendras tu mieux mon état d'esprit concernant le bonsaï.
Ce qui m'intéresse, c'est le "Bonsaï Traditionnel Japonais", je l'apprends au contact de Maître Andô qui peut transmettre encore un certain temps ce qui reste au japon de cette voie du bonsaï. Je considère que j'ai beaucoup de chance de pouvoir vivre ces moments de stage à ses côtés et n'ai que la volonté de transmettre le "savoir" que j'ai reçu.
J'aime bien la comparaison. C'est exactement la même situation, c'est à dire une construction doctrinale à base confucéenne au service d'un nationalisme au moins culturel.
Commençons par le karaté : c'est un art martial d'Okinawa, qui s'est écrit pendant lontemps ??,c'est à dire la « main chinoise » avant que, parce que le caractère « chinois » faisait tache, il soit remplacé par « vide » qui se prononce de la même manière. Le royaume d'Okinawa (Ryû-kyû) ayant eu jusqu'à la fin du 19 ème siècle une histoire séparée du Japon, parler de pratiquer le karaté dans l'esprit du bushido, c'est ipso facto choisir une impossibilité spatio-temporelle. Le bushido ensuite : comme je l'ai indiqué dans un autre message ici, les historiens ont montré que le bushido est une « tradition inventée » qui a été formalisée par des intellectuels néoconfucéens du 18 et 19 ème siècles et « popularisé » (au sens d'appliquée au peuple) à partir de la révolution de Meiji à des fins nationalistes avec une apogée pendant le régime fasciste des années trente et quarante.
Le bonsai traditionnel japonais. Le bonsai japonais moderne a commencé il y a un peu plus d'un siècle et tu as vus sur les cartes postées par Toche qu'il y a cent ans, c'était très différent de maintenant. Depuis, il n'a pas cessé d'évoluer, c'est très net quand Kinbon sort des photos du même arbre lors de Kokufu d'avant guerre et de Kokufu d'après : le style est en perpétuelle évolution, il n'y a pas d'époque durable où le style se serait stabilisé et qui pourrait servir de référence à un objet qui serait « le bonsai traditionnel japonais ». Je suis convaincu que ce M. Ando vous enseigne, c'est un instantané dans l'évolution du bonsai qu'il confond, probablement parce que c'est à ce stade qu'il l'a découvert, avec une réalité durable. C'est un peu comme la célèbre coiffe des Bigoudènes que tout le monde connaît : cette tradition immémoriale n'a existé qu'entre les années 20 et 50.
Ce n'est pas une critique de l'enseignement de M. Ando, simplement, c'est une construction intellectuelle très influencée par le (néo)confucianisme, dont une des valeurs est justement l'idée qu'il y a un ordre des choses qu'il est bon de ne pas modifier.
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